Voici l’argument qui tue, Madame Sommaruga !

À propos de l'inégalité salariale entre les femmes et les hommes, et de ce qu'on prend garde de ne jamais relever à ce sujet.

 

Chère Madame la ministre,

Le 28 février 2018, vous n’avez pas réussi à trouver l’argument qui tue.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais le journaliste Arthur Grosjean, dans La Tribune de Genève et 24 Heures, sous le titre « Les mâles PDC ont blousé les femmes sur les salaires > » Le Conseil des États s’apprêtait à renvoyer aux calendes grecques votre énième projet de lutte contre la discrimination salariale. Un projet mollasson, mais déjà trop effrayant pour une majorité de ces messieurs. Il fallait éviter ce renvoi. Vous n’y êtes pas parvenue. Le journaliste raconte : « La ministre Simonetta Sommaruga sent que les choses tournent mal, mais n’arrive pas à trouver l’argument qui tue. L’assemblée bascule et approuve le renvoi par le score de 25 à 19. »

Il y a pourtant plus effrayant que votre projet. C’est le fait que dans notre « démocratie », en violation de l’article constitutionnel sur l’égalité adopté en 1981 et de la loi entrée en vigueur en 1996, les femmes continuent à être dévalorisées, sans que jamais ces délits massifs ne soient sanctionnés et réparés.

Permettez-moi donc de vous fournir l’argument massue qui semble vous manquer. Vous n’auriez pourtant eu, Madame, ainsi que tous ceux qui luttent à vos côtés, qu’à vous baisser pour le cueillir, ce fait étayé dans toutes les études chiffrées, tant en Suisse qu’en Europe et aux États-Unis.
Le voici :  les femmes qui sont le plus discriminées sur le plan des salaires sont précisément celles qui ont une très bonne formation, d’excellentes compétences et...  occupent des postes avec des responsabilités! > 
Ces mêmes femmes gagnent entre 20 et 30% de moins, voire davantage, que leurs homologues masculins >
Il s’agit d’une discrimination systématique, énorme, et qui n’a pas baissé d’un millimètre au cours des années. Il s’agit aussi d’une donnée sur laquelle personne ne semble vouloir s’arrêter afin de lui faire dire, une bonne fois pour toutes, ce qu’elle veut bel et bien dire.
Surprenant, non ?
Les politiques et la presse préfèrent s’accrocher aux moyennes statistiques de la discrimination, quand ce n’est pas aux mains aux fesses, nettement plus cinématographiques, pas vrai ? Ils préfèrent aussi mettre en avant des facteurs soi-disant « explicatifs », comme si la question des enfants concernait uniquement les femmes, et pas du tout les hommes, ni l’avenir des entreprises et du pays.
Comme si les femmes ne parlaient pas, en moyenne, autant – et pour dire la vérité mieux – les langues que les hommes, et n’étaient pas aussi diplômées qu’eux >
Comme s’il était logique qu’une femme cadre ou dirigeante, assumant toutes les responsabilités liées à de tels postes, gagne beaucoup moins qu’un homme, sous prétexte que de telles positions sont rarement occupées par les détentrices d’un sexe féminin !
Il faut se frotter les yeux, pas vrai ?
Cela arrive pourtant tous les jours. Récemment encore, le nouveau PDG de la compagnie Easyjet a baissé de lui-même son salaire de 40'000 euros > lorsqu’il a découvert que la femme qui avait occupé ce poste jusque-là gagnait beaucoup moins que lui. En janvier 2018, une rédactrice en chef de la BBC anglaise a donné sa démission après avoir découvert qu’elle gagnait 50% de moins > que ses deux homologues masculins pour le même travail, les mêmes responsabilités ! 

N’est-il pas fascinant que dans cette Suisse si démocratique en théorie, tout soit mis en œuvre pour refuser de reconnaître que les femmes paient sonnant et trébuchant – du seul fait de leur sexe – le prix des stéréotypes et des biais qui leur sont appliqués.  Des stéréotypes et des biais qui visent uniquement à les dévaloriser, jamais l’inverse !  Alors que leur flexibilité et les innombrables tâches – qu’en sus de tout le reste – elles accomplissent sans être rémunérées, sont celles qui permettent à notre économie, et à notre société, de tenir debout.

Vérifiez les chiffres de la discrimination sur toute leur échelle > Madame Sommaruga !
Vérifiez-les, mesdames et messieurs les politiques !
Regardez-les droit dans les yeux !
Et vous cesserez peut-être de faire des clapotis dans votre mare d’eau tiède, pour mener enfin un combat qui soit à la hauteur du scandale que constitue le traitement réservé aux femmes sur le plan de l’argent et des opportunités, et qui affecte toute leur vie, retraite comprise.

À la tête des entreprises et des institutions, grandes et petites, il y a une majorité d’hommes en chair et en os qui décident des salaires et des promotions. Ils amputent ceux des femmes, et freinent leurs parcours depuis toujours, volontairement, systématiquement, et ne veulent surtout pas que cela change. Comment le prouver ? Plus une femme est dangereuse à leurs yeux, c’est-à-dire compétente et disponible, aussi compétente et disponible qu’eux, par conséquent capable de les concurrencer, plus son salaire est amputé !
La voilà, la très bête et très mesurable réalité.
Elle a pour moteur la peur et le mépris des femmes.
Elle a pour arme un machisme économique qui continuera à emprunter un boulevard dans ce pays, aussi longtemps que sous la Coupole, dans les entreprises et dans la rue, vous laisserez dire sans broncher qu’on peut discriminer sans le faire exprès, au fond comme « par inadvertance ».

© catherine lovey, mars 2018

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