Une fois n’est pas coutume, voici un petit florilège de Questions qui tuent> pour cet avant-dernier jour de l’année 2016.


Franchement, je trouve que les auteurs locaux (j’habite en Suisse romande) sont assez nuls dans l’ensemble et je me demande pourquoi, si c’est parce que c’est trop petit ici ou peut-être parce qu’on parle mal le français, vous avez une idée, vous?

[Question adressée par Christian N., Nyon]

 

Cher Christian,

C’est la meilleure! Les auteurs locaux, dites-vous? Vous parlez sans doute de celles et ceux qui sont nés dans notre région ou s’y sont installés, et y vivent, y écrivent et y publient?
Puis-je me permettre de signaler à votre aimable attention que les auteurs du monde entier, sans aucune exception, y compris ceux que vous admirez (car j’imagine qu’il en existe que vous lisez ET admirez) sont nés quelque part, dans des endroits parfaitement locaux. Oui, Christian, tous les auteurs sont, par définition, ancrés dans un territoire, du fait qu’ils vivent et écrivent en de minuscules points du globe, puisqu’il leur est impossible de faire la même chose sur la totalité de sa surface.
Du coup, les voici influencés – les pauvres! – par la ou les langues qui sont parlées dans ces coins, par la manière dont on les parle, et aussi par la façon dont leurs propres origines culturelles, sociales et familiales sont modifiées par tous ces facteurs affreusement locaux.  Cette règle, valable pour les auteurs morts, continue à l’être pour les vivants. Tous en ont donc profité, et profitent encore – en tout cas ceux d’entre eux qui sont de bons écrivains – pour travailler leur langue, au point que celle-ci transporte également, imaginez-vous ça! ces petits détails qui font qu’on ne plume pas la volaille à Lôzane, Taganrog ou New Albany comme on la prépare à Konolfingen, Iasnaïa Poliana ou Boundiali.

Mais bien sûr, et pour reprendre votre idée des choses, c’est sans nul doute à cause de son tempérament local que ce plouc de William Faulkner, né et mort dans des bleds du Mississippi, n’a jamais été en mesure que de scribouiller la langue anglaise, contrairement à un Henry James ou une Virginia Woolf qui avaient pris la précaution de naître respectivement à New York et à Londres!

 

L’art devrait être un acte gratuit, l’œuvre d’art un cadeau offert par l’artiste à la communauté. Alors pourquoi dites-vous qu’il faut payer les artistes et notamment les écrivains?

[Question adressée par Jean-Jacques N., lieu non spécifié]

 

Cher Jean-Jacques,

Au point où nous en sommes, j’estime que le travail devrait être un acte gratuit, offert par les travailleurs à la communauté. Oui, vous lisez bien, je parle du travail en général, qu’il s’agisse de celui des couturières, des vendeurs d’électroménager, des Présidents-directeurs généraux, y compris celui de Nestlé, qui est presque mon voisin, et du vôtre aussi, bien que je ne sache pas ce que vous faites dans la vie et, bien entendu, de tous les travaux réalisés par les artistes.
À la veille de l’arrivée d’une nouvelle année, et compte tenu de nos mœurs encore et toujours atrocement mercantiles, je propose que vous et moi – qui formons déjà quelque part une sorte de noyau – lancions un mouvement révolutionnaire consistant à mettre gracieusement à la disposition de nos semblables la totalité de ce que nous faisons, produisons, réalisons, inventons, vendons et pensons durant le temps où nous ne dormons pas.
Chiche?
Espérons que notre démarche finisse par inspirer, et ceci dès les premiers jours de 2017, des centaines de millions d’individus aussi avant-gardistes que nous deux, et également les PDG qui, à leur manière, sont aussi de grands artistes!

 

Les écrivains qui n’arrivent pas à vivre de leur plume, ça veut dire qu’ils sont mauvais, non? Et qu’ils n’ont qu’à faire autre chose!

[Question adressée par Rafael F., Berlin]

 

Cher Rafael,

Nous sommes en période de fêtes, et puisque j’ai été éduquée en de charitables terres chrétiennes, je m’en voudrais de vous tirer brusquement hors du monde simple et brut dans lequel vous avez l’air d’aimer vivre. Aussi suis-je en train de me souvenir du petit Jésus qui me conseillait, à une époque où mes dents de sagesse n’avaient pas encore poussé, de tendre la joue gauche aussitôt qu’on me frappait la droite. Je ne vous cache pas que, sur le moment, j’avais trouvé cette recommandation suspecte. Elle m’est pourtant restée en mémoire, sans doute à cause de sa force intrinsèque, et ceci alors même que mes dents tombent plutôt qu’elles ne poussent.
Je suis donc en mesure de confirmer, cher Rafael, que les écrivains qui n’arrivent pas à vivre de leur plume sont en effet très mauvais. Mais plutôt que de les obliger à prendre un autre boulot où ils risqueront de se montrer tout aussi incapables, je suggère plutôt qu’on rétablisse les potences dans nos innombrables foires, et qu’on en profite pour les pendre en public, les uns après les autres. Ces écrivains si lamentables qu’ils ne parviennent même pas à vivre de leur travail ne manqueront à personne, ne vous inquiétez pas. Et si tout va comme on peut d’ores et déjà le prévoir, la foule n’hésitera pas à débourser, pour une telle attraction, le prix qu’elle s’est toujours sagement refusée à mettre pour l’achat d’un de leurs livres sans intérêt.

 

J’ai voulu offrir des romans pour Noël. Je suis ressortie des librairies sans rien acheter et dégoûtée, parce qu’il y a beaucoup trop de livres, et beaucoup trop avec les bandeaux des prix qu’ils ont gagné, ou des notes sur la couverture qui disent qu’ils sont les plus ceci, les plus cela. Moi, quand c’est comme ça, je finis par ne plus rien croire.

[Remarque adressée par Christine L., Vevey]

 

Chère Christine,

Je vous comprends. Je veux dire que je comprends ce sentiment de noyade qui s’est emparé de vous. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas possible de prendre de bonnes décisions au moment où l’on commence à boire la tasse.

Dès lors, que diriez-vous de faire un peu autrement?
Par exemple, au cours de l’année qui vient, vous prendrez soin d’acheter tranquillement des livres que vous lirez d’abord vous-même. Vous ne les choisirez pas tous sur les tourniquets des nouveautés incontournables, mais vous en attraperez aussi parmi ceux qui se terrent dans les rayons silencieux. Vous pouvez aussi en emprunter quelques-uns dans les bibliothèques. Ainsi serez-vous en mesure d’imaginer quel livre devrait plaire à tel et tel de vos amis à Noël et, pourquoi pas, aussi durant d’autres mois de l’année.
Bien sûr, vous savez que la littérature est un peu comme de la haute-couture, et que ce tailleur qui vous va à merveille ne conviendra pas forcément à votre si sympathique collègue. Qu’importe! Il existe des bons d’échange très pratiques. Il existe aussi, il est vrai, des bons-cadeaux. Qui sait si ce n’est pas munie de certains d’entre eux que vous auriez pu récemment ressortir des librairies, plutôt que les mains vides et dépitées?

Dans tous les cas, prendre le risque de choisir un livre en connaissance de cause et de l’adresser à autrui, quitte à se tromper, vous permettra à coup sûr d’éviter que tous ces bandeaux et notices exubérants ne vous donnent des haut-le-cœur. Forte de vos propres lectures, je peux vous garantir que vous ne les verrez même plus!

 

Je vous ai entendu parler dans une conférence, et j’ai constaté que vous parliez très bien, avec un beau vocabulaire. J’en suis étonnée, parce que votre narratrice, dans Monsieur et Madame Rivaz, parle beaucoup moins bien que vous et parfois très mal. C’est dommage, vous ne trouvez pas?

[Question adressée par Stéphanie A., Lausanne]

 

Chère Stéphanie,

Merci beaucoup pour votre question. Elle me permet d’affirmer par écrit, d’une façon que j’espère quasi incontestable, ce que je répète souvent lors de mes conférences publiques, sans qu’on ne me croie forcément. La narratrice, dans Monsieur et Madame Rivaz n’est pas moi-même. Elle n’est pas non plus une sorte de “clone” de ma personne, et ceci bien que cette femme ait le culot de dire sans arrêt «je».
Cette narratrice est donc ce qu’on appelle un personnage de fiction. Le hasard faisant bien les choses, ce sont précisément de tels personnages que je prétends créer dans mon travail d’écriture. Ils ne parlent pas comme moi, ni ne pensent et n’agissent comme je le ferais. Il s’agit là d’un grand avantage, car sans rien faire – ou presque – je me trouve en mesure de dépasser ma petite personne, et de donner naissance à des mondes plus vastes que moi-même.

Quant à savoir si la narratrice de Monsieur et Madame Rivaz parle beaucoup moins bien que moi et parfois très mal, je vous laisse juge, chère Stéphanie, car tel est le privilège des lectrices et des lecteurs!

 

Depuis quelques semaines, je lis ce que vous publiez sur votre site, dans les différentes rubriques, et je m’inquiète, parce que si vous travaillez autant pour internet, vous n’êtes sûrement pas en train d’écrire un nouveau roman?

[Question adressée par Armelle R., région de Berne ]

 

Chère Armelle,

Je suis très touchée que vous vous inquiétiez pour moi, dans le bon sens du terme. Je veux dire qu’incidemment, vous espérez que j’écrive un nouveau roman, qui sera publié dans pas trop longtemps… Vous êtes donc, en tant que lectrice, le sel des écrivains, pas moins!
Je vous dois donc un peu de vérité.
J’accorde à tous les textes que j’écris, qu’ils soient destinés à une publication papier ou numérique, une grande attention, tant sur la forme que sur le fond. D’autre part, j’ai la chance de posséder une guillotine à textes, encore en fonction. Oui, une de ces véritables machines aiguisées, capables de trancher des têtes. J’en profite donc pour faire passer à mes textes une sorte de test dramatique, intitulé Le test du temps qui passe. Laissez-moi vous raconter: voici un texte que j’estime terminé. Hop, exil dans l’armoire! Le temps passe. Un beau jour, je l’en ressors. Puis je le relis, en y posant un œil implacable. Et certaines fois, la guillotine se met en marche.

Mais pas toujours Armelle, pas toujours…

J’ai été très heureuse, durant cette année 2016, d’être en mesure d’accompagner la sortie de Monsieur et Madame Rivaz par un travail aussi inédit qu’intensif de publications de chroniques, de récits et de réflexions sur mon site. J’aurais pu faire plus simple, et beaucoup moins gourmand en temps, je vous l’accorde. Mais voilà, on ne se refait pas. Les gens dans mon style, qui possèdent encore des guillotines, ont tendance à faire des paris insensés, et tout à fait contraires aux mœurs en vigueur à une époque déterminée. Quand tout va vite, comme aujourd’hui, ils vont lentement. Quand tout s’explique et se consomme en deux coups de cuillerées à pot, ils enchaînent les paragraphes. Quand tout devient dénué de réflexions et de sens, ils s’acharnent à réfléchir et à produire du sens.
Pour quel résultat? me demanderez-vous.
C’est une très bonne question.
L’absence de réponse claire ne m’empêche pas de continuer à travailler.
Voilà tout ce que je peux vous dire, chère Armelle, sans oublier de vous souhaiter une douce et féconde nouvelle année.

© catherine lovey, le 30 décembre 2016

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