Vous laissez entendre que la littérature n’a pas d’utilité, donc ne sert à rien. Mais alors, à quoi bon?

[question adressée par Jean-Paul B., Aix-les-Bains]        

 

Cher Jean-Paul B.,
Ne vous angoissez pas!
Il y a beaucoup de littérature utile et qui sert.
Il y en a même plus que jamais.
De la littérature qui sert à vous distraire un moment, avant que vous ne passiez à autre chose. Qui vous informe des tribulations sexuelles de l’écrivain X dans le microcosme Z, où les personnages ne sont pas nommés de leur vrai nom, mais où on les reconnaît. Et aussi des romans utiles à votre édification (si, si, vous en avez besoin), capables de vous convaincre de vous engager pour de bonnes causes (il y en a tant), ou de vous améliorer, afin de mieux fonctionner, vous aussi. Il y a même des textes qui vous permettent d’adresser la parole à des inconnus, parce qu’ils ont dévoré le même livre que vous, dès sa publication, et l’ont également trouvé trop génial !

À côté de tant de littérature utile, il en existe une qui ne sert à rien, pour cause de trop grande liberté. Un peu comme un cheval sauvage que personne ne peut contraindre à exécuter le numéro de cirque prévu.
De tels textes sont intemporels. Ils se retrouvent là où on ne les attend pas, et nous attendent malgré tout.
Il s’agit d’une littérature qui ne nous veut ni du bien, ni du mal. Elle n’escompte pas non plus que nous soyons différents de celui ou de celle que nous sommes. Pour tout dire, cette littérature existe indépendamment de nous. Et se fiche de nous. Complètement. Elle se fiche de nos goûts, de nos préférences, de nos désirs et surtout de nos besoins. Pourtant, la voici qui nous propose de partir en voyage avec elle. À nos risques et périls! Un voyage d’agrément, certes, mais pas seulement, à travers une langue qui aura été inventée, au fur et à mesure, par ce périple, et pour lui-même.

Il n’est pas sans danger, cher Monsieur, de fréquenter ce genre de textes.
Vous risqueriez d’éprouver des sensations inconnues, voire déstabilisantes. Vous pourriez traverser des paysages qui vous résistent, d’autres qui élargissent votre conscience, quitte à la rendre nauséeuse. Vous pourriez aller jusqu’à repérer, au sein de votre propre existence, des contradictions non seulement insolubles, mais appelées à le demeurer.
Vous pourriez vous retrouver nu, Jean-Paul.
Et seul.
Et vivant! 
Voilà, vous savez tout, alors faites bien attention!

Je vous souhaite de belles et bonnes lectures du côté d’Aix-Les-Bains, une ville lacustre dont je garde le meilleur souvenir.

Et une suggestion de lecture:

Courriers de Berlin, de Matthias Zschokke >
La trajectoire d’un écrivain de langue allemande (c’est d'ailleurs pareil pour toutes les langues …) à travers des mails adressés à son meilleur ami, sur une période de huit ans. Travail d’écriture acharné,  humeurs et humour en demi-teinte, regards enthousiastes et plus souvent encore désespérés sur les créations contemporaines, angoisses d’argent, angoisses par rapport au futur, angoisses tout court. Bref, un regard qui ne joue pas ni ne triche.

© catherine lovey, le 16 septembre 2016

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