Pensez-vous que c’est bien de suivre une école de littérature pour devenir écrivain?

[Question adressée par Laurent B., Lausanne ]

 

Cher Laurent,
J’imagine que vous posez cette question pour vous-même, parce que vous êtes en train de vous tâter, comme on dit. Du coup, je vous encourage à bâtir votre propre avis, indépendamment de ce que vous entendez à droite et à gauche, y compris dans cette chronique. D’autant que «l’expérience n’est une lumière qui n’éclaire que soi-même», ainsi que l’aurait constaté Lao Tseu himself. [1]
Je suis très mal placée pour répondre à votre question.
Ou très bien, si on apprécie l’ironie radicale.

J’ai pris garde, dès que j’ai été en âge de faire des choix, de ne jamais emprunter un chemin d’études littéraires. Certes, j’ai fait une maturité latin-anglais, par dépit au début, mais sans regret ensuite. Je voulais en réalité suivre une voie scientifique-grec mais, à l’époque, chez nous, seuls les garçons étaient acceptés dans cette section, et ce n’est pas un gag. Ensuite relations internationales (avec beaucoup d’hésitations pour la médecine), puis journalisme financier et économique. Enfin criminologie. À une seule occasion, j’avais accompagné un ami à un séminaire de la faculté des lettres. On y passait un texte de Gide à la moulinette. Ces 45 minutes m’avaient largement suffi. Pourtant, je vous l’assure, Laurent, la lecture littéraire constituait déjà une part importante de ma vie, et ceci bien avant les études de maturité. J’écrivais aussi. Mes manuscrits, je les ai tous détruits à l’âge de 24 ans. Par le feu.
Voilà comment certains braves essaient de se débarrasser de la littérature.

Je suis en mesure de vous dire encore que si j’étais jeune aujourd’hui, je ne mettrais les pieds dans aucun des ces instituts littéraires et autres séminaires de creative writing. Tout simplement parce qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Ou, disons, qui ne veut pas boire de cette eau-là, son but étant plutôt de préserver à tout prix l’écriture en tant qu’un territoire personnel, mystérieux et très dangereux.
Je suis donc ce genre d’ânesse, et cela ne doit rien signifier pour vous.
Essayez simplement de savoir peu à peu quel genre d’animal vous êtes vous-même, c’est tout.

Je dois vous confier encore qu’un certain nombre de mes amis, qui sont des consœurs et des confrères écrivains, n’ont pas du tout fait ce genre de choix de fuite absolue et ne s’en portent pas plus mal.
Nombreux sont ceux qui animent eux-mêmes des ateliers d’écriture, enseignent dans certaines de ces écoles pour écrivains, occupent des rôles de mentors pour des jeunes qui entendent devenir des écrivains. Tous me disent que c’est passionnant, que les étudiants sont très motivés, l’approche des textes riche et diverse. Quant aux processus d’écriture, au moins ces jeunes gagnent-ils du temps, en évitant toutes ces erreurs basiques qu’on voit si souvent dans des manuscrits et aussi dans des textes publiés.
Je les crois sur parole, et d’autant mieux que rien ne m’apparaît plus important que d’apprendre d’abord à lire, afin de demeurer un lecteur actif, impliqué, exigeant et critique sur la durée. On peut l’apprendre par soi-même. On peut étudier. Rien n’entraîne mieux vers l’écriture littéraire que des textes littéraires stimulants. Non pour les imiter, mais parce qu’ils nous aident à toucher du doigt l’ampleur du territoire et nous encouragent, de ce fait, à la persévérance, si possible dans un climat de saine modestie.

Je préciserais encore, mais vous l’aurez compris, que je me méfie de tout ce qui est efficace, bien calibré, équilibré. J’apprécie ces qualités dans le monde réel, pour mon chauffe-eau, par exemple, ou dans des articles journalistiques. Pas dans les travaux de création. Parfois, je m’imagine tirer Tchekhov par la manche et lui dire franchement Anton Pavlovitch, ici vous auriez pu couper, et là aussi, le caractère de votre Irina n’en aurait été que mieux dégagé.
Qu’est-ce qu’un défaut dans un texte littéraire?
Parfois une marque mortelle.
Parfois son sel.
Allez y comprendre quelque chose, hein?

Je vous souhaite le meilleur, Laurent, et aussi d’excellentes lectures!

[1] Lao Tseu – que nous sommes extrêmement honorés de compter parmi nos lecteurs – est intervenu himself après la publication de cette Question Qui Tue pour nous signaler qu'une traduction plus proche de sa “mandarine” pensée concernant le rôle de l'expérience serait: "l'expérience est une lanterne que l'on porte dans le dos et qui n'éclaire que le chemin déjà parcouru".
On ne saurait en effet mieux dire. Et merci!
 

Une suggestion de lecture:

Je suis un écrivain japonais, de Dany Laferrière >
Un titre qui apparaît comme un comble pour cet écrivain noir de peau, originaire d’Haïti, québécois d’adoption, membre de l’Académie française depuis 2013. Son texte, à la fois drôle et subtil, va au cœur d’un certain processus de création littéraire. L’imagination c’est bien. Les doutes aussi. Et puis il y a les soucis de la vie matérielle, les attentes du marché, des amis et des gens qui veulent que vous soyez célèbre.

© catherine lovey, le 7 octobre 2016

C'était...