Et si – enfin – le temps
n’était plus de l’argent?

 
PETITE PROMENADE EN PAYS D’UTOPIE,
LES YEUX NÉANMOINS GRANDS OUVERTS
SUR LA RÉALITÉ CONTEMPORAINE.


Je ne sais pas comment ça se passe dans votre vie,
mais si vous me permettez de dire deux mots à propos
de la mienne, je remarquerais en premier lieu ceci: je
n’ai pratiquement plus le temps de rien. C’est vrai, je
n’exagère pas! Et si j’utilise l’adverbe pratiquement,
c’est surtout dans le souci de faire semblant
de garder
un peu d’espoir. Le fait est que les personnes que je
connais, de près ou de loin, n’ont quant à elles déjà
plus de temps du tout. On dirait que nos vies ont emprunté
un circuit de montagnes russes trafiqué: tout
à coup, il n’y a que des pentes qui descendent, à une
vitesse toujours plus folle, et plus aucune montée susceptible
de freiner un peu nos équipages.

J’observe encore autre chose, un peu comme lorsque
l’on se rend chez le médecin pour recevoir le résultat
de sa prise de sang. Vous pouvez être sûr que s’il y a
un problème du côté du cholestérol ou du fer, ça clochera
aussi au niveau des globules ou des plaquettes.
Bref, j’ai remarqué que la plupart des activités que je
déploie désormais en sus de celles que je déployais
déjà dans un passé récent –et qui dévorent le peu de
temps qui me restait– eh bien que ces activités ne me
rapportent, en moyenne, pas un PENNY supplémentaire.

Pourtant, vous le savez aussi bien que moi: le temps,
c’est de l’argent.

Certes, personne n’a jamais su dire d’une manière définitive
ce qu’est le temps. Ni ne saurait expliquer
ce qu’implique à coup sûr l’expression qui le relie
irrémédiablement à l’argent. Il n’empêche que nous
tous, êtres de bonne volonté, comprenons le temps
sans problème, du moment où nous n’avons pas à
l’expliquer. Saint-Augustin avait relevé ce paradoxe
bien avant nous, avec une incomparable maestria.
Je propose donc de nous en tenir à ce saint constat.
Et de considérer, aussi nombreux que nous puissions
l’être, qu’en effet, nous n’avons plus une minute, et
que de surcroît, cette occupation effrénée de notre
temps ne nous rapporte pas plus d’argent.
Sauf exception.
J’écris sauf exception en conscience, afin d’inviter
tout le monde à la table de DISCUSSION. Une des
nombreuses vertus de ce texte de réflexion tient en effet
à son ouverture d’esprit. Vous êtes donc conviés
à y mettre votre grain de sable, dans le but louable de
nous rendre plus conscients, intelligents et proches de
la vérité.
Et si possible pas plus abrutis.

Le temps, c’est donc de l’argent. Ainsi sont bâtis nos
systèmes.

J’ai envie d’écrire «nos systèmes capitalistes libéralisés»
mais ce serait réducteur. La vérité, c’est que nos
vies entières, jusqu’à notre mort –expiration comprise–
sont marquées par cet impératif qui soude le
temps à l’argent mieux qu’une super glu. La méthode
la plus courue consiste à investir son propre temps
dans un travail, contre un salaire. Des variations sont
possibles, consistant à bénéficier du temps investi par
d’autres dans un travail et/ou à profiter des revenus
de l’argent lui-même. N’oublions pas que si l’argent
qui tombe chaque mois sur un compte-salaire a tendance
à se volatiliser, à peine arrivé, il en existe un
autre, capable de faire lui-même des petits à la chaîne.
Mais le but n’est pas de refaire le capitalisme ici. Ni le
monde. Encore moins de nier l’existence de l’âme, et
de nos aspirations à l’amour, la simplicité, la sagesse et
tutti quanti. Non, sans rien renier, nous nous contenterons
d’un dénominateur commun: si nous n’avons
pas d’argent, nous crevons.
Ainsi soit-il.

Le fait est qu’il y a de plus en plus d’argent qui transite
de plus en plus vite à travers la planète, à chaque
seconde.

Les flux sont si considérables que si cet argent en train
de voler en tous sens nous tombait tout à coup dessus,
sonnant et trébuchant, nous mourrions écrasés. Il y
a donc de plus en plus d’argent et, aussi bizarre que
cela puisse paraître, de moins en moins de gens qui estiment
en avoir assez pour vivre bien. Je me contente
de parler ici non pas à l’échelle de la planète, où le
constat risquerait d’être encore plus drastique, mais
de me référer à nombre d’entre nous, simples mortels
ayant la chance d’inscrire leur existence dans le temps
des pays dits développés et en paix. Il semblerait que
nous soyons de plus en plus nombreux à devoir affronter
la peur, de moins en moins hypothétique, de
manquer un jour tout à fait d’argent. Gageons que
nous sommes aussi un certain nombre à nous souvenir
qu’autrefois, dans nos familles, les sous étaient
comptés, mais que le NIVEAU D’ANGOISSE n’avait
rien à voir avec celui en vigueur à l’époque contemporaine.
De quoi se demander comment ça se fait? du
moment où nos vies matérielles sont plus confortables
aujourd’hui.
Pourtant, c’est vrai, il n’y a pas si longtemps, les
loyers avaient le bon goût de demeurer modérés, les
emplois nombreux et stables. Un seul salaire suffisait
souvent à faire vivre la famille, et permettait même
d’épargner un peu. L’assurance-maladie ne prenait
jamais l’ascenseur chaque année, personne ne payait
rien pour les poubelles, et il y avait à domicile un téléphone
et une télé pour des décennies, et pas quatre
ordinateurs, autant de tablettes, de smartphones et
d’abonnements à changer sans cesse. Je ne dis pas
que c’était bien, ni même idéal, je dis seulement qu’on
pouvait regarder le temps s’écouler devant soi avec
une certaine impavidité.

S’il existe des masses d’argent plus massives que jamais,
que se passe-t-il du côté du temps?

Eh bien, c’est étonnant, ce parallélisme avec l’argent,
parce que figurez-vous qu’il y a de plus en plus de
temps aussi!

Innombrables en sont les raisons, toutes à la base de
progrès considérables. La machine à laver le linge,
pour prendre un exemple trivial mais significatif, s’est
vue dotée, au fur et à mesure de son évolution, de programmes
spécifiques qui ont rendu ineptes les fers
à repasser, et surtout les heures passées à repasser.
Quant à l’aspirateur, il est devenu un petit robot, rond
et autonome. À ceci s’ajoutent des innovations d’un
tout autre niveau qui, pour aller vite, nous permettent
d’avoir ACCÈS AU MONDE ENTIER, et d’intervenir
dans ce même monde, à la seconde, sans quitter notre
siège, ni notre écran des yeux.
Force est d’admettre qu’il nous faut désormais, à
nous autres ayant la chance de vivre dans des pays dits
développés –et pour le moment encore en paix– infiniment
moins de temps pour faire tout ce qui, auparavant,
en requérait beaucoup. Or, et n’est-ce pas
renversant, il semblerait que, tous autant que nous
sommes, constatons que nous avons de moins en
moins de temps.
Que nous ne savons plus où donner de la tête.
Qu’il n’y a plus de frontières entre notre vie professionnelle
et privée.
Que nous n’en pouvons plus de devoir être connectés,
et par conséquent disponibles, jour et nuit, et aussi
les plus informés-efficaces-à la pointe-rapides-actifs-réactifs,
et encore les plus beaux-jeunes-épanouis-en santé-heureux.
Que nous nous sentons pressurisés.
Écrabouillés.
Burn-outés.

Résumons-nous:
Il y a de plus en plus d’argent qui circule dans le monde.
Il y a de plus en plus de temps à disposition.
Or, compte tenu du fait que le temps, c’est de l’argent, tout le monde bénéficie donc de plus de temps et de plus d’argent.
Euh…
Rembobinons!
Il y a de plus en plus de temps et d’argent.
Time is money.
Pourtant, de plus en plus de gens ont le sentiment d’avoir de moins en moins de temps et d’argent.

Comment expliquer pareil DÉRAPAGE?

[Fin de l’extrait]

© catherine lovey