Que pensez-vous de la critique, est-ce que c’est important, y êtes-vous attentive, et regardez-vous aussi ce qui se dit sur le Net à propos de vos livres?

[question adressée par Gino N.]


Cher Gino,

Merci pour votre vaste ou courte question, c’est selon!
Ah! la critique…
Afin de nous amuser un peu, je vais plutôt vous proposer un florilège de réponses possibles. Sentez-vous libre de choisir celle – ou celles – qui, selon vous, sont susceptibles de contenir des indices de vérité quant à mon comportement vis-à-vis d’icelle.

La réponse classique, qui a beaucoup servi et sert encore: la critique? Pouah! Vous n’y songez pas! Au nom de quoi me préoccuperais-je de ces gueux?

Réponse végane: la critique? Certes, mais sans viande ni aucun produit d’origine animale. Sans souffrance surtout! Même chez les cochons! Même chez les poissons d’eau douce! C’est capital! Pour le futur. Mon œuvre est ancrée dans le futur, voyez-vous?

Réponse Fraction Armée rouge ou Bande à Bader: mes bras droits, qui sont des costaud(e)s, lisent toutes les critiques pour moi; ils traquent aussi les forums de discussions et d’évaluations, bref les petites étoiles, et ils y mettent bon ordre. Certains ont eu la chance d’aller en Russie pour suivre une formation accélérée de troll, c’est dire s’ils sont efficaces. Moi, je n’ai pas le temps de me préoccuper de ces détails, j’écris, vous comprenez? Je fais donc confiance à mes sbires, parce que je les paie bien.  

Réponse réaliste: la critique? Où ça?
Réponse hyperréaliste: la critique? Si seulement!

La réponse de la foi: Je respecte profondément mon prochain, aussi inculte, flemmard et aveugle puisse-t-il être. Dieu nous a créé à son image, c’est écrit dans la bible, si bien que lorsqu’on me baffe ou m’ignore, je tends aussitôt l’autre joue, consciente que les coups bas peuvent être aussi d’origine divine. Quand, en revanche, on encense mes écrits, j’ai vite tendance à penser qu’il n’y a pas qu’un seul dieu, mais tout un Olympe!

La réponse complotiste: ah, si vous saviez! Si vous saviez mon bon Monsieur comment ces choses-là fonctionnent…Tous pourris, je vous le dis! Ils touchent, vous comprenez, ils touchent des paquets pour leurs critiques, parce que ça vient d’en haut, tout ça vient du grand capital internationaliste et de ses innombrables relais obscurs, à New York, Bruxelles, Shanghai, Addis-Abeba et Berne, oui, même Berne est dans le coup! Alors qu’est-ce que vous voulez, les petits poissons, ces gens-là passent leur temps à les noyer. Mais faut pas croire que les sardines se laissent faire. Elles sont organisées, sachez-le! Je ne vous en dis pas davantage ici mais, si vous cherchez un peu, vous allez découvrir des choses…

La réponse façon geek: un petit tour dans le darknet, et ça va mieux!

Réponse «macroniste», tendance En marche!: je prends volontiers tous les helpers qui veulent donner des feedbacks snackable, parce que de nos jours, le process, c’est ça le focus!

La réponse développement personnel: pour moi, l’important, c’est le lâcher-prise. Je lis une critique, je m’arrête assez vite, je regarde par la fenêtre, un oiseau s’envole et, petit à petit, moi aussi. Flap, flap, flap flap. Respiration. Recentrage. Résultat: même pas mal!
Le Shanbungdor Panthen n’a-t-il d’ailleurs pas souligné à maintes reprises: «Impénétrables sont les voies de la critique, mais très pénétrables sont celles des raisons impures.»

Réponse-type issue du marketing: mes bouquins? Pourvu qu’on en cause, voilà tout! En bien, en mal, peu me chaut! Oui, pourvu qu’on en cause et les voie!
Partout.

La réponse du futur qui est peut-être déjà celle d’aujourd’hui: la quoi? Ah! La critique… Vous voulez dire critiquer en mal? Non!? Alors quoi? Ouais, vous parlez de cette critique-là, qui met en perspective, analyse, tente d’aller au fond des choses, juge et étaie… 
Mais pour quoi faire?

Réponse boursière: vous pensez bien que je préfère quand mes livres sortent sur un bull market plutôt que sur un bear market, et c’est vrai que je ne peux pas m’empêcher d’évaluer de temps à autre le PER, le PEG et aussi le FCFE et le FCFF et tutti quanti. Mais de là à avoir l’œil rivé sur le ticker, non merci! S’il y a quelqu’un, en ce bas monde, qui est conscient de la volatilité des choses, c’est bien moi.

Réponse à peine désabusée: cher Monsieur, écrire un peu, n’est-ce pas déjà risquer beaucoup?

Moyennement désabusée: cher Monsieur N. que faites-vous vendredi soir? Il y aura un colloque littéraire très intéressant à propos de la critique des dispositifs, de l’intermédialité et aussi de l’intersémiocité.
Si jamais.

La désabusée: cher Gino, laissez-moi vous dire qu’une bonne petite grappa artigianale, ça vous remonte les bretelles encore mieux qu’un colloque littéraire, surtout quand la critique est bonne
quand la musique donne
quand la musique sonne, sonne, sonne
quand elle ne triche pas
quand elle guide mes pas
etcétéra.
[J-J Goldman]

Et merci à celles et à ceux qui s’adonnent encore, ici ou là, à cet art chronophage et difficile qui consiste à lire des textes de A à Z, et à les présenter aux lecteurs potentiels, en se gardant d’en raconter uniquement le «sujet».

 

Une suggestion de lecture:

Journal Volubile, d’Enrique Vila-Matas >
Voici un Barcelonais bien en jambes, qui a établi son rapport au monde essentiellement à travers la littérature. Rien de compassé ni de torturé là-dedans, c’est au contraire amusé, piquant, souvent ironique. Il s'agit surtout d'un regard d’écrivain et de grand lecteur, qui sait mettre sa propre destinée à distance, afin d’entrer dans des œuvres littéraires en profondeur et nous inviter à en faire de même. Certes, Vila-Matas a ses propres marottes, et pas n’importe lesquelles: Walser, Kafka, Pessoa, Joyce, Borges etc. Du coup, nous ne risquons pas de perdre notre temps. Mais ce qui est intéressant avant tout, c’est sa manière d’appréhender ces textes, d’en faire ressortir l’armature et résonner d’intemporels échos. Lire Vila-Matas apparaît par conséquent recommandable pour tout grand lecteur, tout écrivain, et aussi toute personne qui s’adonne à l’art de la critique.
Dans plusieurs de ses textes, on trouve des écrivains, à commencer par lui-même, qui envisagent sérieusement d’arrêter d’écrire; des éditeurs qui ont publié des œuvres importantes mais qui ont dû fermer leur maison, n'osent le dire à personne et errent; et aussi des conférenciers invités à s’exprimer lors d’importants colloques, mais qui restent enfermés dans leur chambre d’hôtel, écrivent des théories du roman ou pas de théorie du tout… Bref, on fait la connaissance de quantité de gens qui, d’une façon ou d’une autre, expérimentent l’art de la disparition.
En cette époque où il s’agit d’exister à tout prix, voire de «surexister», voilà qui est original, sinon salvateur.
 

© catherine lovey, le 24 mars 2017

C’était…