À Madeline, Emmanuelle et Jenny,
Chez Parenthèses,
Librairie,
Hong Kong,

 

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     C’est grâce à nos chers amis Gérard Henry et Sonia Au que nous avons pu nous rendre à Hong Kong, en famille, en décembre 2007. Comment les choses se sont-elles arrangées, de fil en aiguille, pour que la librairie Parenthèses entre dans le programme de ce voyage, je ne m’en souviens plus. Il est certain que Gérard s’en est mêlé, et bien sûr aussi Madeline Progin, THE Suissesse de Hong Kong. Mais avant de parler de l’accueil à la librairie, sous des guirlandes de Noël que je vois encore, et de la rencontre autour de mon premier roman, L’homme interdit (Zoé, 2005) > je vais faire un aveu que je devrais peut-être taire.

Tant pis !

     Avant ce voyage, j’avais eu l’occasion de venir deux fois dans cette ville. La première, et bien sûr, c’est celle qui compte, je m’étais arrangée, préventivement, pour y passer le moins de temps possible. En me basant sur des images que j’avais pu voir ici ou là, et surtout sur d’écrasants préjugés fabriqués maison, je m’étais dit que je ne survivrai jamais dans un endroit pareil. Non pas que je déteste les villes, au contraire, plus elles sont grandes et éloignées de mes repères, plus elles constituent le nécessaire contrepoids à une enfance passée dans un minuscule village des montagnes valaisannes, isolé, of course, centré sur ses saisons, ses racines paysannes monocolores, et uni par un indiscutable effroi du monde. Je me dois de préciser qu’en ce temps-là, le monde commençait déjà à quelques centaines de mètres du village en question. Or, si les villes démesurées n’effrayaient pas trop mes pensées, pas même Bombay, pas même Shanghai, Hong Kong, quant à elle, me fichait d’avance une peur panique. Trop c’est trop, voilà ce que je ressassais, assumant à peu près la stupidité d’une telle certitude. Ce béton, cette forêt, cet hirsutisme, non merci ! À d’autres ! Et puis l’air, oui, l’air qu’on respire, comment pourrait-il circuler là-dedans, et les vers de terre y creuser des galeries, et les chats, même un seul chat maigre et blanc, s’y lécher au soleil, impossible, impossible, et l’amour, qu’on ne me raconte pas d’histoire, l’amour impossible dans ce fouillis, trop de trop, pas de place, de silence, pas de temps qui passe.

     J’entame maintenant avec vaillance le paragraphe où l’auteur se couvre de ridicule, quand il n’y laisse pas sa tête, le paragraphe du coup de foudre des romans de gare ; j’aborde le moment où il faut rendre les armes, sans discussion, parce qu’il n’y rien à discuter, encore moins à expliquer, palpitations, cœur en flammes, à la vie, à la mort, c’est le moment où, contre toute attente, la passion règle votre sort en un seul coup. D’accord, dans les romans et souvent dans les gares, il y a un beau ténébreux qui se dévoue pour tenir le rôle, ou une blonde lumineuse, alors que dans ce texte, il n’y a qu’une ville, mais c’est égal. Un homme, une femme, une ville, c’est égal, quand un amour irraisonné frappe, c’est fort, et c’est pour toujours.

     Nous sommes donc arrivés en famille à Hong Kong, en décembre 2007, et pour Jeremy, 18 ans, et pour Giulia, 10 ans, ce fut l’ébahissement, que dis-je, le renversement, ah ! Hong Kong, ont-ils dit, Hong Kong ah !, continuent-ils à dire, maintenant que cette ville a mis dans leur tête un concentré de folie, de possibles, d’altérité et d’invraisemblable énergie.

     Quant à votre soussignée, toujours un peu perdue dans les forêts, fussent-elles de verre et d’acier, toujours à confondre l’est et l’ouest, aujourd’hui et demain, il y eut cette maison, Parenthèses, et l’odeur des livres et leurs couleurs, et le son des mots, celui de la langue maternelle, et la chaleur de l’accueil et la gaieté, et ce sentiment inestimable d’être chez soi, si loin de ses racines.

     Puissent Madeline, Emmanuelle et Jenny demeurer longtemps encore les âmes de ce havre dans la forêt étincelante, et Parenthèses être toujours une Maison pour ceux qui essaient de dire le monde en le réinventant.

 

© catherine lovey, avril 2012

Ce texte est paru dans Le Fauteuil, 25 ans de Parenthèses de A à Z, Continental Books Limited, 2012.